Le gouvernement français a rendu obligatoire, à échéance 2026 pour les grandes entreprises, 2027 pour les PME/TPE, d’émettre des factures au format Factur-X, UBL ou CII, formats électronique nécessitant l’utilisation de logiciels spécialisés. Adieu papier, crayon, ou même tableur.
Cette nouvelle obligation, vendue pour « améliorer les délais de règlement des entreprises » (sic), constitue en réalité un système de contrôle fiscal universel et permanent, estimé « rentable immédiatement » par l’administration en charge de ce projet. Affirmation d’autant plus facile à poser qu’elle ne sera jamais vérifiée, et que s’il s’avérait qu’elle était fausse, personne n’encourra jamais aucune sanction. Comme d’habitude.
Aussi, l’agence pour l’informatique financière de l’état (AIFE) a été chargée de concevoir un « portail public de facturation » (PPF), permettant de traiter via Internet les millions de factures à inspecter annuellement. Devant l’ampleur de la tâche, cette même agence avait toutefois prévu qu’elle puisse aussi être effectuée par des entreprises privées, les « plateformes de dématérialisation partenaires » (PDP).
Le PPF devait être une solution « simple et gratuite » pour effectuer le traitement des factures, mais pas seulement. Il avait également pour mission de transmettre les données à l’administration fiscale, et de gérer l’annuaire des entreprises, déterminant les modalités selon lesquelles les factures devraient être transmises à leurs destinataires. A contrario, il était prévu que les PDP, relevant du privé, fassent payer leur service, contre la promesse d’une efficacité améliorée.
Or ce 15 octobre, le ministère de l’Économie et des Finances, constatant que « l’écosystème des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP) est suffisamment robuste et dynamique pour prendre en charge cette mission », annonce l’abandon du projet de développement du PPF. Désormais, la mission repose donc exclusivement sur des PGP privés, pour laquelle plus de 70 entreprises alléchées par un marché captif, un revenu récurrent, et une activité sans risques, ont déjà fait acte de candidature. Il est des dynamismes qui s’expliquent facilement, tant il est vrai que les pires pouvoirs ont toujours su trouver de zélés collaborateurs pour qui l’argent n’a pas d’odeur.
Dans cette décision du ministère intervient très certainement la peur d’échouer à nouveau dans la mise en œuvre d’un projet lourd, déjà repoussé de deux ans. Et aussi la probabilité que feu le PPF aurait été saturé par l’affluence des entreprises qui l’auraient préféré aux PDP. Non seulement pour une question de coût, mais encore pour une question de principe, les missions régaliennes – dont la levée des impôts – n’ayant pas vocation à être effectuées par des entreprises privées. On sait quel destin tragique a terminé la carrière de nombreux fermiers-généraux, dont les PGP sont les successeurs directs en version républicaine.
Une solution envisageable à cette problématique aurait été de dimensionner en conséquence les infrastructures du PPF. Il aurait été également possible d’assurer la gratuité du traitement par les PGP, moyennant rétribution de leurs services par l’état : avec 70 concurrents, les prix auraient vite chuté. Et faute d’explication, il reste absolument aberrant que la France ne rejoigne pas le système européen équivalent, PEPPOL (Pan-European Public Procurement On-Line), déjà opérationnel. Solutions cependant toutes trois inférieures à l’abandon pur et simple du projet : il y a déjà plus de trente ans, la chute de l’Union Soviétique a démontré qu’un régime de contrôle et de coercition n’était pas la voie la plus sûre pour développer une économie dynamique.
L’abandon du PPF a une conséquence très directe pour les entreprises, en dehors de l’atteinte à la liberté du commerce, de la disparition du secret des affaires, de l’obligation de moyens qu’elle instaure, avec la discrimination numérique qui va avec, des fuites de données inévitables, et des coûts induits : la solution gratuite du PPF ayant disparu, il sera obligatoire de passer par les PGP, donc de payer à chaque fois qu’une facture sera émise, taxe nouvelle qui ne dit pas son nom, qui sera elle même taxée à 20% de TVA !
« La France est un pays formidable, disait Clemenceau, on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts ». Cette boutade qui faisait rire au siècle dernier suscite maintenant des grincements de dents : nous sommes le champion olympique des prélèvements fiscaux, pour des services publics dégradés, et un niveau de dettes inquiétant, à tel point que l’évasion fiscale finira par relever de la légitime défense. On aurait espéré que l’inventivité des fonctionnaires soient davantage tournée vers l’amélioration de la compétitivité des entreprises par l’allègement des charges, la simplification administrative, et la stabilité juridique et réglementaire, trois orientations simples réclamés depuis des lustres par une très large majorité d’entreprises et de citoyens. Apparemment, pour être ministre, il faut être sourd.