Le projet Factur-X, aussi appelé « Facturation électronique » ou FE, fait l’objet d’une communication anxiogène sur le thème « Factur-X débarque, c’est une révolution, serez-vous prêt à temps ?? ».
Les entreprises sont appelées à s’y précipiter de toute urgence, Factur-X étant présenté comme une formidable opportunité de modernisation, alors qu’il ne s’agit que d’un nouvel instrument de contrôle fiscal, particulièrement intrusif : il vise à rien moins que transmettre à Bercy toutes les données de toutes les transactions commerciales, en quasi temps réel.
Voyons de plus près de quoi il en retourne.
Orwellification du processus de vente
Dans ce nouveau projet, vous ne remettrez plus vos factures à vos clients : les transactions se feront entre vendeur et administration, via des « portails », puis administration et acheteur, suivant le schéma ci-dessous.

Le vendeur transmettra donc sa facture à un premier portail Internet, qui contrôlera sa conformité, identifiera le vendeur auprès de l’annuaire des services fiscaux, et transmettra les données utiles au fisc. Puis elle la transmettra à un second portail, qui la fera parvenir à votre acheteur.
Et lorsque votre acheteur réglera votre facture, pour ce qui concerne les prestations de service, le règlement devra être effectué via son portail (hors cas de paiement de la TVA sur les débits ou auto-liquidation), qui déclenchera le règlement via votre portail.
Ce nouveau processus concerne toutes les entreprises assujetties à la TVA, y compris les entreprises bénéficiant de la franchise en base. Les auto-entreprises sont donc concernées.
Simple, non ? 🙁
Les acteurs de la facturation électronique
Les logiciels de facturation
Le premier maillon, ce sont les logiciels spécialisés qui vont produire les factures au format Factur-X, norme de structuration de données informatiques au format XML, concernant principalement la France et l’Allemagne (il existe d’autres formats d’échange de données informatisées que Factur-X, comme UBL ou CII).
Alors qu’une part très importante (2.5 des 3.8 millions d’entreprises françaises, selon certaines estimations), utiliseraient un simple tableur, voire un facturier papier, il sera désormais imposé à toutes d’utiliser un logiciel spécifique de facturation.
Les factures Factur-X seront des fichiers pdf, dans une variante de ce format (pdf-a3) permettant d’embarquer des données supplémentaires à l’intérieur, lisibles seulement par un ordinateur. Seront ainsi encodées l’identité du vendeur et de l’acheteur, les produits vendus avec leurs prix, les quantités, remises, montants de TVA.
Les plateformes de traitement des données
Le second maillon, ce sont les plateformes de traitement des données.
En 2022, en vue de réaliser ce traitement, l’état s’était engagé à mettre à disposition des entreprises un portail public de facturation (PPF), service gratuit sur le modèle du portail Chorus. Mais devant l’ampleur du travail (la France émet 2.5 milliards de factures par an), il en a annoncé l’abandon officiel, en octobre 2024, ne conservant que son rôle d’annuaire central des entreprises, déléguant la mission à des « plateformes de dématérialisation partenaire » (PDP), entreprises privées qui factureront leur service aux entreprises.
Oui, il faudra désormais payer pour émettre une facture ! D’après Jean-Guilhem Darré, délégué général du Syndicat des indépendants (SDI), la facture électronique pourrait atteindre environ 50 euros mensuels « pour les petits émetteurs ». C’est à dire 5 fois plus que le coût de leur propre ERP (quand il n’est pas gratuit).
Pour ces plateformes privées, l’intérêt est évident : large marché de clients captifs, travail sans risque, revenu récurrent confortable, un rêve ! Aussi, près de 80 entreprises informatiques ont candidaté pour cette collaboration avec le fisc. Ce sont ces entreprises, qui développent la communication anxiogène que nous subissons actuellement, avec des arguments de vendeurs de lessive, pour d’obtenir la plus grosse part possible de ce gâteau.
Bruxelles affiche 50.000 lobbyistes officiels pour 720 députés, soit 70 agents d’influence par élu. Ainsi, il se murmure en coulisse que la directive européenne ViDA a été fortement influencée par Gena/Peppol. Cette directive ayant été sur-transposée par Bercy, et ce dernier s’étant rendu compte de son incapacité à mettre sur pied la plateforme PPF gratuite, les mauvaises langues affirment que pour sortir de cette situation embarrassante, DGFIP et AIFE auraient accepté le « deal » proposé par certains éditeurs parmi lesquels Generix, Qualient et Docoon : nous vous sauvons la mise, mais en contrepartie, vous nous confiez la mission. Cependant, certains parlementaires ont rappelé à Bercy son engagement de PPF gratuite, votée en 2022, d’où les discussions récentes à l’assemblée nationale. Beaucoup ont remarqué que le président de la FNFE venait d’être nommé à la tête de la commission AFNOR chargée de la réforme, ce qui n’indique pas une grande indépendance des acteurs…
Il est à noter que l’ordre des experts-comptables a annoncé son intention de proposer une plateforme gratuite comme alternative aux PDP payants.
Les arguments en faveur de la facturation électronique
Bercy présente dans son argumentaire officiel les quatre objectifs qu’il assigne au projet :
- renforcer la compétitivité des entreprises grâce aux gains de la dématérialisation ;
- simplifier, à terme, les obligations déclaratives en matière de TVA en développant une nouvelle offre de service : le pré-remplissage des déclarations de TVA ;
- améliorer la lutte contre la fraude à la TVA au bénéfice des opérateurs de bonne foi ;
- améliorer la connaissance en temps réel de l’activité des entreprises et le pilotage des politiques publiques.
Cependant, ces quatre arguments ne résistent pas à l’examen :
- L’état, incapable même d’équilibrer son budget depuis 1975 (50 ans !) n’est pas compétent en matière de compétitivité. En l’occurrence, on a jamais vu qu’un alourdissement normatif puisse générer une amélioration de compétitivité. Par ailleurs, si ce mécanisme était porteur de valeur ou d’efficacité, il aurait été mis en place par les entreprises sans attendre d’injonction externe. Or a ce jour, les seules entreprises qui réclament, bruyamment, sa mise en place, sont celles qui comptent en tirer des revenus substantiels, les candidats PDP.
- Les déclarations de TVA sont déjà pré-remplies par tous les ERP « sérieux », et ce depuis fort longtemps. Ce possible pré-remplissage n’est qu’une sous-fonction publicitaire annexe de la fonction principale : le contrôle automatisé de toutes les transactions.
- La lutte contre la fraude est un prétexte bien commode, personne ne pouvant se déclarer en sa faveur. Ainsi, certains régimes ont également argué de la « lutte contre la fraude » pour généraliser la mise en place de commissaires politiques à tous les niveaux. Dans le cas présent, le prétexte de la « lutte contre la fraude » ne peut pas être utilisé pour justifier la mise sous surveillance constante des 3.8 millions d’entreprises française, moyen disproportionné par rapport à son but. Par ailleurs, les opérateurs de bonne foi n’ont aucun bénéfice à attendre de Factur-X.
- La connaissance en temps réel de l’activité des entreprises n’est aucunement indispensable à l’état, qui est en charge non pas de la gestion au jour le jour – responsabilité des chefs d’entreprises – mais de vision et d’orientation de long terme.
Deux des raisons majeures qui poussent l’état à promouvoir ce système ne sont pas citées dans l’argumentaire officiel.
- Le premier est l’application de la directive européenne ViDA (VAT in the Digital Age), émanant de la commission européenne. Selon ces instances, la fraude totale à la TVA des 27 s’élèverait à 61 milliards en 2023 (99 milliards en 2020, chiffres à prendre avec une grande prudence). D’où l’idée d’utiliser les ressources de la technologie pour tenter de résoudre ce problème, quitte à devoir construire un système orwellien de surveillance électronique généralisée pour y parvenir.
- Le second est l’amélioration supposée de la notation de la France par les agences. En effet, la performance des états en matière de recouvrement d’impôts constitue une part significative de cette notation, et a un impact direct sur les taux auxquels ces états empruntent. Pour un état surendetté comme le notre, on en comprend tout l’intérêt.
Les arguments en défaveur de la facturation électronique
Ce projet technologique présente cependant quelques défauts :
- L’intrusion d’un tiers étatique dans la relation acheteur <-> vendeur n’est soutenue que par les économies de type dirigiste, qui ne sont pas les plus performantes, ni en termes économiques, ni en terme de bonheur humain. Au moment où de nombreux pays dans le monde adoptent un virage libéral, voire libertaire, l’union européenne, choisit l’orientation inverse, coercitive et administrative, qui ne peut que dégrader encore l’image de l’Europe auprès des peuples.
- Ce système représente une charge supplémentaire pesant sur les entreprises, qui vont s’acquitter de 1.5 à 3 milliards de plus, auquel il faudra ajouter le coût pour la collectivité des infrastructures de la DGFIP, ainsi que celui de l’armée de fonctionnaires nécessaires pour le traitement des données des 2 milliards de factures émises par an en France.
- Le contrôle fiscal relevant des missions de Bercy, c’est à lui qu’il appartient de le financer, et non pas d’en faire porter le poids sur le secteur productif : on ne demande pas au pendu de payer sa corde.
- Le problème de l’éventuelle fraude à la TVA relève de la question plus générale du consentement à l’impôt. Si une fraude importante est décelée, traduisant la dégradation de ce consentement, toute mesure coercitive de réduction de la fraude ne peut faire l’impasse de la recherche de mesures visant à améliorer le consentement à l’impôt : les problèmes se solutionnent par l’aval davantage que par l’amont.
- La somme de mesures coercitives appliquée au secteur productif par le secteur administratif atteint un niveau inacceptable, tant qu’il n’applique pas à lui même les mesures d’économies et d’amélioration de productivité qu’il exige du secteur productif.
- Ce système consacre la fin du secret des affaires : lorsque des données de facturation, ultra-sensibles pour certaines, vont passer par un réseau incontrôlé de plateformes privées dont la sécurité est sujette à caution (même la police n’échappe par au problème de la fuite des données), certaines de ces données ne manqueront pas d’être communiquées à ceux qui seront prêts à les payer.
- Imposer un moyen (ici un ordinateur et un logiciel), plus une quasi-taxe à l’émission de toute facture, constitue de facto un facteur d’obstruction à la liberté d’entreprendre, ainsi qu’à la liberté du commerce et de l’industrie.
- La complexité du moyen imposé est déraisonnablement inadapté aux très petites entreprises, qui constituent l’immense majorité du tissu entrepreneurial français, et utilisent pour une part très importante (65% ?) des moyens qui leur sont adaptés (tableur ou papier).
- Les entreprises, par l’utilisation du format Factur-X, perdent la souveraineté sur leur données, qui sont transmises à l’état dans un format qu’elles ne peuvent pas contrôler aisément.
- Recouvrer les impôts est une mission régalienne. Or déléguer des missions régaliennes aux intérêts privés est rarement une bonne idée à cause des abus qui en découlent : ce n’est pas par hasard qu’on compte de nombreux fermiers généraux dans les premières victimes de la révolution.
- De même qu’il n’y a pas d’éloge flatteur sans liberté de blâmer, il n’y a pas d’homme honnête sans liberté d’action. Or Factur-X une quasi-prison électronique.
- Instaurer un système externe, demandant d’énorme moyens d’infrastructure, pour gérer une fonction aussi stratégique que la facturation des entreprises, consacre par cette dépendance la perte de souveraineté des entreprises sur le cœur de leur activité, et introduit une perte de résilience particulièrement inopportune dans le climat actuel : en cas de conflit armé en Europe, et des désorganisations et destructions qui en découleraient, il se passe quoi ? Les entreprises arrêtent de facturer ? L’économie s’arrête ?
Le calendrier de la facturation électronique
Ce projet suscite de nombreuses interrogations et difficultés, tant techniques que politiques. Aussi a-t-il déjà été reporté trois fois. Pour le moment (et cela change souvent) :
- Toutes les entreprises devront pouvoir recevoir des factures au format électronique le 1er septembre 2026. Concrètement, elles auront juste à choisir un PDP d’ici cette date. C’est ce qui explique la communication stressante des candidats PDP, qui cherchent à faire souscrire à leur offre le maximum de clients possibles.
- Les TPE et les PME (c’est à dire 99% des entreprises en France), devront être en mesure d’émettre des factures électroniques le 1er septembre 2027. Concrètement, elle devront choisir pour cette date un logiciel capable de générer des factures au format Factur-X (ou CII ou UBL). Pour les grandes entreprises et les ETI, ce sera le 1er septembre 2026. Cette date a été repoussée d’un an en mars 2025.


3 Responses
Merci pour ces infos
Mais comment utiliser facturex actuellement ?
Avec Gestan entreprise
Pour le moment, le problème ne se pose pas, Factur-X n’est obligatoire en émission qu’à partir de 2017. Et au vu de ce qui se passe en politique en ce moment en France, il n’est pas dit que l’idée aille au bout, l’économie n’ayant pas besoin d’une nouvelle usine à gaz, mais plutôt de mesures qui favorisent sa compétitivité. Cependant, vous pouvez générer du fatur-X dans Gestan 15 via le menu contextuel, et dans Gestan A1 via le choix du processeur EDI dans le paramétrage général.
[…] format Factur-X était intégré dans Gestan depuis 2022 (format légal minimal). Gestan A1 embarque Factur-X au […]